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Témoignage d’Hélène Dion

 

AVANT

J’ai 19 ans. Je m’en souviens comme si c’était hier. À côté de moi, deux personnes me regardent avec surprise : « Mais tu n’entends donc pas le sifflet ? » Non, je n’entends pas le sifflet. On me teste, on me trouve une perte auditive assez importante dans les fréquences hautes. Otosclérose cochléaire (le terme du temps), qui évoluera certainement en mal, on ne sait trop ni pourquoi ni comment ni quand. Dégénérescence de la matière osseuse dont est constituée la cochlée, dégénérescence du liquide cochléaire entraînant des dommages au nerf auditif, des deux on ne sait pas départager la poule et l’œuf. Le phénomène s’observe souvent chez les toutes jeunes femmes. Ça tombe bien, je termine une maîtrise en musique. La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), l’organisme qui administre les régimes publics d'assurance maladie et médicaments, me fournit gratuitement une prothèse auditive. Puis deux. Je deviens enseignante, malgré tout.

J’ai 27 ans, ma surdité progresse de plus en plus lentement, je suis mariée. Fort désir d’enfant. Attention, dit l’ORL. Impact hormonal probable. Tant pis. 1 enfant, zéro problème. À 30 ans, le désir d’enfant nous reprend. Maladie probablement stabilisée dit l’ORL. Oh que non ! Au premier trimestre, je perçois la détérioration de mon audition de semaine en semaine, j’envisage même une IVG mais j’y renonce (je ne l’ai jamais regretté une seule seconde).

J’ai 35 ans. Je quitte l’enseignement, je crée mon entreprise. Je m’en tire assez bien, mon équipe s’occupe du téléphone. Mes enfants grandissent. La vie est finalement assez simple. Il fait beau dehors, il va neiger cet hiver, ma maman est sourde. On ne me chuchote pas de petits secrets à l’oreille, on me prend par la main et on m’entraîne à l’écart. Mon audition continue de se détériorer, c’est graduel, et je m’en accommode. Je ne vais ni au cinéma ni au concert, j’évite les rencontres avec beaucoup de gens (le bruit soutenu de conversations animées m’étourdit, au point de ne pas pouvoir prendre le volant). Je vis, somme toute, plutôt bien.

Pendant une dizaine d’années, je reçois un traitement expérimental. Je prends un supplément de calcium et de fluorure, destiné à favoriser l’absorption du calcium. Chaque nouveau pharmacien me regarde avec abasourdissement : vous savez que c’est une dose de fluorure qui tue les rats ? Je réponds que je ne suis pas un rat. L’expérience prend fin, c’est un échec, la matière osseuse devient plus friable (deux fractures, dans mon cas).

À plusieurs reprises, je m’informe à l’Institut Raymond-Dewar, centre provincial montréalais : pourquoi pas un implant ? Dans votre cas, ce serait contre-productif, me répond-on invariablement. Votre facilité pour la lecture labiale et votre degré de discrimination sont trop élevés. La RAMQ remplace régulièrement mes prothèses, dont je ne paie que les piles (déductibles de mes impôts, à titre de frais de maladie). De plus, au terme de certains tests, j’ai droit à un allègement fiscal, la « déduction de personne handicapée », qui réduit mes revenus imposables, et donc l’impôt à payer (réduction variable, d’environ 1000 $ par année, environ 700 €). Je le répète, somme toute, je vis plutôt bien.

J’ai 53 ans, je commence à faire de l’ostéoporose, je suis en ménopause, on me prescrit la thérapie de substitution hormonale. C’est un risque à courir. Je le cours. Mal m’en prend. Ma discrimination fout le camp. Les choses se gâtent beaucoup.

J’ai 60 ans. Je ne comprends presque plus ce que me dit mon mari, assis en face de moi. Le téléphone est un cauchemar. Ma surdité est maintenant classifiée comme sévère dans les deux oreilles. Pour cet anniversaire jalon, mon fils me propose de payer pour toute notre famille des cours de langage signé. Il a fait les démarches, je dois passer de nouveaux tests. Et voilà que la responsable de mon dossier me dit : « Je vais maintenant vous dire un gros mot – et ce gros mot, c’est “implant”. » Mon mari et moi échangeons un regard, un sourire – non, ce n’est pas un gros mot. Quand ? Comment ?

 

PENDANT

Le Centre québécois d’expertise en implant cochléaire m’inscrit sur sa liste de candidatures, avec prise en charge par la Régie. J’en ai pour environ 18 mois d’attente. Tout se fait quasi automatiquement et sans intervention de ma part. Je reçois des appels : madame Dion, êtes-vous libre vendredi dans trois semaines, pour votre rendez-vous  pour un scan ? Oui ? Parfait, vous serez attendue à 14 h 30, à telle adresse. Audiologie, tests plus fins, base de référence pour le dossier post-opératoire et la réadaptation. Vérification de mon crâne, radios, scans - j’appréhende ceux-là : et si on allait constater l’insuffisance de ma matière osseuse, friabilisée par le fluorure, vingt ans avant ? Cela ne se produit pas. Le protocole des tests comprend même une rencontre avec un psychologue, où on s’assure que je n’attends pas de miracle et que je ne nourris pas non plus de terreur secrète face au changement qui m’attend. Je rencontre mon chirurgien, le Dr Jacques Ferron, une sommité dans ce domaine, qui a pratiqué plusieurs centaines d’implantations, un homme dont le regard dégage une bonté bouleversante, extrêmement rassurante.

J’ai 62 ans. Je suis opérée le 5 mars 2008, à l’Hôtel-Dieu de Québec (la ville), le seul centre hospitalier où se pratique (à cette époque) l’intervention au Québec (la province). On m’implante un Harmony HiResolution (avec Fidelity 120), fabriqué par Advanced Bionics. La RAMQ fait affaire avec trois fournisseurs : AB, Cochlear et  Medel (pour ce dernier, je ne suis pas certaine). Le choix de l’implant se fonde sur des considérations administratives (si c’est mars, c’est Advanced Bionics). L’opération proprement dite dure un peu plus d’une heure et demie, y compris les vérifications (fonctionnalité des électrodes, réponse du nerf auditif). À mon réveil, une douleur fugitive à la tête, quelques légers vertiges. Sur une échelle de 1 à 10, le malaise se situerait globalement sous le degré 1.

  Au lendemain de l’opération. Douleurs légères fugitives, aucune nausée, alerte et orientée. Sur cette photo, je rédige mon blogue.

       Six semaines plus tard, un lundi matin, conformément au protocole, j’entreprends le programme de rééducation. Mme L., l’audiologiste responsable de mon dossier, installe sur mon oreille le processeur de l’implant et le met en marche. Je vois ses lèvres bouger, je la vois expliquer quelque chose à mon mari, puis je vois qu’elle me parle. Ce que j’entends ressemble à des cui-cui. Pendant quelques minutes, j’écoute ces cui-cui, sans trop comprendre ce qui se passe. Et puis, je prends conscience que les cui-cui correspondent au rythme des mouvements des lèvres de Mme L. Soudain et en quelques secondes, les cui-cui se transforment, deviennent progressivement des sons de voix. Et puis des mots. Je voudrais bien mentir pour les fins du récit et dire que je n’ai jamais oublié ces premiers mots que j’ai compris grâce à l’implant, mais ce n’est pas vrai. Parce que ce fut graduel et comme naturel.

Je passe la semaine en sessions d’apprentissage et de suivi, soit à la clinique de l’hôpital, soit au centre de réadaptation. On recalibre la programmation presque chaque jour, on me teste pour suivre les résultats. Je dois tenir compte de mes observations (manger une fraise ne fait pas le même bruit que manger une banane). À la blague, le premier jour, mon mari s’est engagé à se faire couper la barbe « si ça marche, ce truc-là ». Le mardi de la semaine suivante, je passe un nouveau test d’évaluation globale. Quand elle en reçoit les résultats, Mme L., ravie et éberluée par la rapidité de ma progression, communique avec mon mari : « Monsieur Gauthier, votre barbe est en grave danger ! » (Oui, il a tenu parole.) Sans qu’on sache trop bien pourquoi, mon cas est un des plus beaux « succès » de l’histoire de l’implantation cochléaire au Québec. Une hypothèse, sous toute réserve, est le fait que porter mes prothèses auditives sans arrêt aurait permis à mon système auditif de « rester en forme » malgré les déficiences profondes.

Je rentre chez moi. Toujours automatiquement, j’ai été inscrite à un programme personnalisé de réadaptation de deux mois, CRDP (centre de réadaptation en déficience physique) Le Bouclier, situé à environ une vingtaine de minutes de mon domicile (ça, c’est un hasard, ce n’est pas le cas de toutes les personnes opérées). On me teste dans différentes situations, notamment au téléphone. On vient installer chez moi un téléphone adapté ainsi qu’un système de contrôle de l’environnement à signal lumineux stroboscopique, comportant trois appareils relais qui émettent des signaux d’alarme quand le téléphone sonne, quand on sonne à la porte, quand le système d’alarme incendie se déclenche.

J’ai eu quelques difficultés. J’avais lu que l’implantation cochléaire avait des effets négatifs sur la discrimination des sons, que certaines personnes étaient devenues incapables de discerner, à l’audition de deux notes, si elles étaient ou non de la même hauteur (sol-sol par opposition à sol-ré). Dès mon retour, je suis allée faire mes propres essais au piano, et constaté que certaines notes étaient mal perçues (par exemple le sol 5 sonne faux, allez savoir !) Aussi, au début, notamment, j’entendais ma propre voix comme dédoublée, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, comme un écho. Après un voyage en avion, quelques mois plus tard, j’ai entendu des sifflements et j’ai constaté une détérioration de ma discrimination. On a re-calibré ma programmation.

 

APRÈS

J’ai 63 ans, puis 64, puis 65, etc. 70 aujourd’hui. Au début, les gens qui me connaissent s’émerveillent du changement. À mesure, tout le monde s’habitue à la nouvelle moi. L’implant cochléaire ne fait pas de miracle, il n’a pas transformé ma vie, je demeure une personne malentendante, mais ma situation est grandement améliorée.

De nouveaux tests ont montré que, du point de vue des règles fiscales, je reste admissible à la « déduction de personne handicapée ». Je continue à avoir droit à une prothèse pour mon oreille droite, que je continue à porter (contrairement à d’autres) par préférence personnelle, pour la qualité du son. Dans les magasins, j’ai encore à expliquer que je suis presque complètement sourde, que j’ai un implant cochléaire et une prothèse pour m’aider mais que j’ai besoin de voir pour entendre. Au téléphone, je continue à demander qu’on me parle un peu plus fort et len-te-ment et bien-claire-ment-comme-ça s’il vous plaît. Les restaurants bruyants restent un problème. Dans les réunions familiales, je continue à préférer m’asseoir à côté de quelqu’un qui ne se formalisera pas d’avoir à me répéter la remarque qui vient de provoquer un éclat de rire général (je continue à rire en même temps que tout le monde – on verra après). Je ne vais toujours pas au théâtre ni au cinéma. Je ne regarde pas la télé (j’en serais capable grâce aux sous-titres, c’est purement une idiosyncrasie).

En revanche, je me suis remise à jouer du piano et j’arrive même maintenant à travailler au mixage des chansons que je compose. Et maintenant je chante juste ! Peu de temps après l’opération, alors que je fredonnais distraitement une phrase musicale jouée à la radio, mon mari, les yeux dans l’eau, m’a dit : « mais tu chantes juste ! » La musique orchestrale reste un défi (surtout la grande musique symphonique, encore un magma sonore) mais est redevenue plus accessible.  Une stagiaire en audiologie a été éberluée de m’entendre discuter de telles améliorations : dans ses cours, on lui avait appris que l’implant cochléaire a peu d’effet sur la discrimination musicale. Je participe à de nombreux ateliers d’écriture musicale – je m’y présente toujours avec mon petit laïus, mais il reste que cette participation m’est devenue possible.

Au Québec, l’implant cochléaire est une réalité connue du public. Un couple de populaires vedettes du monde du spectacle a eu deux enfants sourds-nés, qui ont été implantés. Quand je parle de mon implant, les gens demandent souvent : « Comme les enfants de René Simard ? » J’ai débité mon laïus un peu plus fort etc. toute ma vie (remplaçant auparavant un implant et une prothèse par deux prothèses, bien sûr) et dans presque 100 % des cas, la réponse a été : « oh, désolée, dites-le-moi si je parle trop vite ». Je peux compter sur les doigts d’une seule main (et il en reste) les cas de personne agacée ou impatiente qui refuse de me parler (dont, incroyablement, une vieille religieuse qui m’a un jour lancé «  faites donc appeler quelqu’un qui comprend quelque chose ». Ça ne s’invente pas et après, on en rit.)

Le programme de l’implant cochléaire est entièrement gratuit. On calcule, en gros, qu’une implantation, ses préparatifs, l’opération elle-même, son suivi, coûte au trésor québécois environ 100 000 $ (soit environ 72 000 €). Le processeur de l’implant ne m’appartient pas et à ma mort, ma succession devra le rendre (mais on ne retirera pas l’implant proprement dit sur mon cadavre – hi hi !) Toutes les réparations sont prises en charge par la clinique, il suffit d’appeler la responsable. Au début, j’ai souvent eu des difficultés avec l’antenne : j’en recevais une neuve le lendemain de l’appel, je retournais l’ancienne, tout cela – même cela – aux frais de la clinique. Si je perds ou me fais voler le processeur ou encore si une négligence de ma part le rend inutilisable (on rapporte quelques cas d’immersion, par distraction), je devrai payer 1000 $ (environ 700 €) pour qu’on me le remplace. Comme je fais partie de l’Association des implantés cochléaires du Québec, un regroupement d’entraide qui propose des activités de divertissement et de l’aide financière, ces frais seraient ramenés à  Il y a quelques semaines, alors que j’étais en voyage en France pour encore trois semaines, le fil de l’antenne s’est rompu (trois semaines, en voyage, sans processeur ? J’en pleurais.) C’était un vendredi. La clinique a fait des pieds et des mains pour m’aider et j’ai reçu la pièce le mercredi suivant (si ce n’avait été des lenteurs de FedEx, je l’aurais reçue le lundi). D’ailleurs, je tiens à remercier l’AIFIC, avec qui j’ai alors communiqué, affolée et en détresse, et où on m’a fort gentiment et rapidement conseillée.

Quand j’ai été implantée, on nous expliquait que le programme québécois ne couvrait qu’une implantation, la double implantation étant réservée aux aveugles. L’opération ne se faisait pas en clinique privée. Depuis, le programme a été élargi et l’équipe de direction m’a proposé une deuxième implantation. J’hésite beaucoup. Mon oreille non implantée joue un très grand rôle dans la perception et la discrimination musicale ; jouer du piano dans mon salon sans ma prothèse équivaut (presque) pour moi à tapocher sur un clavier placé dans une fabrique de chaudrons. La deuxième implantation n’est pas dans mes projets immédiats.

Être sourde et implantée. Faire de la musique. Oui, ça se peut.

Cependant, si la première implantation comme telle était à refaire, le referais-je ? Sans hésitation : oui, un zillion de fois oui.

 

 

J’ai 70 ans. Somme toute, je vis très très bien.

 

 

Si vous m’avez lue jusqu’ici et si mon récit a suscité intérêt ou amusement, je vous signale que j’ai tenu un blogue sur mon expérience. Il se trouve ici :

http://eylenn.blogspot.ca